LE RADEAU DE LA MEDUSE, Géricault (1819, Musée du Louvre)


Un fait d’actualité

En septembre 1816, le « Journal des débats » relate le premier la nouvelle : la frégate « La Méduse » a coulé. 147 personnes prirent place sur un radeau de fortune faute de place dans les canots de sauvetage. Seuls dix survécurent. Cette tragédie humaine fit la une des gazettes pendant des mois ; le gouvernement essayant de masquer les faits tandis que l’opposition les dévoilaient. Le ministre responsable et 200 officiers de la marine furent limogés.
Lors du Salon de 1819, Théodore Géricault présente sa Scène de naufrage. Parmi les tableaux historiques montrant des scènes de la vie des saints ou célébrant les monarques du passé, l’œuvre de Géricault ne passa pas inaperçue. Il ne flattait en effet ni le trône, ni l’autel et ne contribuait pas non plus à la « gloire de la nation ». L’œuvre apparut comme une provocation, comme une allégorie de la souffrance humaine.


Seuls au milieu de l’Atlantique

Le 17 juin 1816, la frégate La Méduse appareille d’un port français pour atteindre le Sénégal. Elle doit reprendre la colonie d’Afrique occidentale que l’Angleterre a restituée à la France.
A la suite d’erreurs de navigation, la Méduse s’échoue. Les six canots de sauvetage sont insuffisants. 147 hommes se retrouvent donc sur un radeau de fortune. Ils seront bientôt abandonnés par les occupants des chaloupes.
Les hommes du radeau de la Méduse vont vivre l’enfer. Des querelles éclatent rapidement ; on se bat pour les meilleures places sur le radeau. Des hommes meurent. Des cas de cannibalisme apparaissent dès le troisième jour, tandis que l’eau de mer ou les urines sont bues dès le quatrième jour selon les témoignages. Au bout d’une semaine, il ne reste que 28 survivants. Seuls quinze semblent être en mesure de survivre. Les autres sont jetés à l’eau. Après treize jours de dérive, les rescapés du radeau sont découverts par le navire L’Argus.

La réalisation de la toile

Géricault s’est inspiré des témoignages de deux rescapés, Henry Savigny, chirurgien à bord et Alexandre Corréard, ingénieur-géographe.
Sur sa toile, il représente le faux espoir qui précéda le sauvetage : les naufragés perçoivent à l’horizon le bateau parti à leur secours mais celui-ci s’éloigne sans les voir.
La composition est tendue vers cette espérance dans un mouvement ascendant vers la droite qui culmine avec l’homme noir, figure de proue de l’embarcation – faut-il y voir un manifeste de Géricault contre l’esclavage ? 
Géricault a beaucoup préparé la composition de son tableau. Dans un premier temps, il accumule la documentation et interroge les rescapés qu’il dessine ; puis il travaille avec une maquette et des figurines de cire, étudie des cadavres et des moribonds dans les hôpitaux, fait poser des amis, hésite entre plusieurs sujets. C’est ensuite la réalisation en solitaire dans son atelier sur une toile de 5 mètres sur 7.

Description de l’œuvre

Les corps blêmes sont cruellement mis en valeur par un clair-obscur. Certains sont contorsionnés par l’exaltation, d’autres au contraire inconscients. Animés par l’énergie du désespoir, les hommes qui le peuvent désignent ou regardent l’horizon. L’homme qui domine la composition, telle la figure de proue du radeau, agite un tissu, tout comme un autre des ses compagnons d’infortune, vers un navire au loin.

Malgré la couleur blafarde ou verdâtre de certains corps, Géricault ne peint pas de corps décharnés. Il ne représente pas l’horreur des corps couverts de plaies. Le réel est bien présent mais le réalisme n’est pas le but de l’artiste.

Dans le tableau, deux figures du désespoir et de la solitude se démarquent : un homme pleurant son fils, un autre pleurant sur lui-même (derrière le père, au pied du mât de fortune). On perçoit dans ces figures le souffle romantique qui anime Géricault.

L’œuvre peut être considérée comme un manifeste du romantisme tant par son inspiration (un sujet d’épouvante puisé dans l’histoire contemporaine), que par sa facture emportée, ou par le dynamisme qui l’anime. En revanche, elle demeure très classique dans sa composition en pyramide.
Vilipendée au Salon de 1819, la toile de Géricault a suscité de nombreuses réactions : pour la nouveauté de son interprétation comme pour son esprit où on décèle des intentions politiques. L’artiste exprime par ailleurs un paradoxe : comment montrer l’horreur sur un tableau, comment concilier l’art et le réel ? Coupin dira « M. Géricault semble s’être trompé. Le but de la peinture est de parler à l’âme et aux yeux, et non de repousser ». Les détracteurs de l’œuvre parlent « d’amas de cadavres », ses zélateurs y voient un tableau moderne, un manifeste libéral, une œuvre d’actualité. Michelet dira « c’est notre société toute entière qui embarqua sur ce radeau de la Méduse… ».

Objectifs pédagogiques

Pour les lycéens, le Bulletin Officiel propose d’aborder L’art et le réel au sein de la thématique « Arts, réalités, imaginaires ». Pour les collégiens, élèves de 4ème, l’étude du Radeau de la Méduse peut s’inscrire dans la thématique «  Arts, Etats et pouvoir », l’œuvre d’art et la mémoire. Pour les uns et les autres, les objectifs peuvent être variés : le réel et l’art, l’artiste-témoin de son temps, l’artiste engagé, mimétisme entre le réel et la représentation, …

Ce que les élèves doivent voir (à partir de leurs observations et de vos questions !)

La construction en pyramide de l’œuvre.
Sur le radeau, on observe des hommes à la dérive (certains sont morts ou inconscients, d’autres s’agitent)
Le mouvement indique l’horizon : un bateau apparaît, peut être synonyme de sauvetage ?
La figure du père pleurant son fils au premier plan se distingue.
Un homme noir est la figure de proue de ce radeau.
La technique du clair-obscur est employée ici.

Ce qu’ils doivent retenir en quelques mots-clés

Fait historique, réel, scandale, romantisme, naufragés, manifeste.

Pour prolonger la séance…

Pour continuer dans l’étude du romantisme et son lien avec le réel : Scène des massacres de Scio ; familles grecques attendant la mort ou l’esclavage, d’Eugène Delacroix (1824, musée du Louvre); L’enfant, poème de Victor Hugo extrait du recueil Les Orientales (1829).

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