INTERIEUR HOLLANDAIS I, JUAN MIRO (1928, MoMA New York)

Que l’artiste le reconnaisse ou non, une toile vierge de toutes références n’existe pas. Les artistes réinterprètent encore et toujours la tradition picturale avec un nouveau langage plastique. Miró comme d’autres peintres du XXe siècle (Picasso, Bacon) se confronte ainsi aux maîtres anciens.

Une référence : les maîtres hollandais

En mai 1928, Miró entreprend un voyage de deux semaines en Belgique et en hollande. Il est très vite fasciné par la peinture flamande, par le monde d’objets que cette peinture révèle. Il est sensible à cette perception de l’intime qu’offrent les peintres flamands du XVIIe siècle.
De retour à Paris, il se met à copier ces œuvres à sa façon. Intérieur hollandais I reproduisant Le joueur de Luth de Sorgh (conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam) a ainsi été peint d’après une carte postale fixé sur son chevalet.



Intérieur hollandais I : histoire d’une reproduction surréaliste

« Je n’avais pas l’intention de tourner en dérision la conception réaliste de Sorgh. Le résultat reflète le mélange de tragi-comique qui est le trait principal de mon caractère. Rien n’a été prévu dans cette toile, elle est venue comme cela ».
Cette œuvre appartient à la veine détailliste de l’artiste comme
Le carnaval d’Arlequin. Miró accorde au plus petit élément la même importance qu’à la synthèse de l’œuvre originelle. L’espace se segmente ainsi en une multitude de détails ; selon W. Rubin 65 éléments correspondent entre l’œuvre de Miró et celle de Sorgh. On retrouve donc les deux personnages principaux : le joueur de luth qui joue la sérénade ou donne une leçon de musique et la femme à ses côtés. Chez Miró, cette dernière est miniaturisée mais elle est bien présente. On observe également pêle-mêle le chien, le chat, la fenêtre donnant sur un canal d’Amsterdam, un tableau au mur présentant un meurtre et la nappe blanche. Miró reprend par de grands aplats de blanc le procédé « d’éclairage » de l’œuvre de Sorgh. L’artiste flamand a en effet fait pénétrer la lumière dans son tableau par la fenêtre ouverte située à gauche de sa composition mais également par le blanc de la nappe et des vêtements des protagonistes.
Mais, la liberté de Miró face à l’œuvre de Sorgh est néanmoins très grande. Sa composition se fait dans le mouvement. Tout se met à bouger, à danser autour du grand luth contrairement à la stabilité qui se dégage de la peinture flamande. Peinture et musique se mêlent : la tête du joueur devient palette du peintre ; ses moustaches sont une portée musicale. Des animaux fantastiques issus de l’univers surréaliste de Miró se joignent joyeusement à la composition.
« Ce qui prime chez moi c’est le fait plastique et poétique ; ce sont les associations de formes et d’idées : une forme me donne une idée, cette idée me donne une autre forme et le tout aboutit à des personnages, à des animaux, à des je-ne-sais-quoi que je n’avais pas prévus. »
Il y a aussi du tragique dans cette œuvre. L’os que tient le chien n’est-il pas un prolongement de son propre corps ? L’animal n’est-il pas en train de se transformer en os, allusion directe à sa mort. Le pendant du chien suivant l’axe du luth n’est-il pas ce cadre dans lequel une scène de meurtre est illustrée ? La légèreté, le mouvement de la composition côtoie donc le tragique, la mort ; Eros côtoie Thanatos.
A noter : l’empreinte de pas n’est autre que la signature de Miró sur cette toile marquant l’attachement de l’artiste catalan à sa terre natale.

Objectifs pédagogiques

« Arts, ruptures, continuités » pour les élèves de collège (niveau 3ème), ou comment les artistes s’inspirent et revisitent les œuvres du passé.
« Arts, sociétés, cultures », pour les lycéens. L’étude porte ici sur l’art et l’appartenance à un mouvement : avec cet exemple, le surréalisme.

Ce que les élèves doivent voir (à partir de leurs observations et de vos questions !)

Le chien, le luth, le joueur, la scène galante, le chat, le canal (l’eau), les tableaux au mur, le blanc synonyme de lumière, l’empreinte de pied, le mouvement, la partition de musique, la palette.

Ce qu’ils doivent retenir en quelques mots-clés

Le surréalisme, la réinterprétation d’un classique, l’amour, la mort, le mouvement donné par l’artiste.

Pour prolonger la séance…

Les surréalistes utilisés en publicité (Magritte et Dali), Un chien andalou de Buñuel : la scène de l’œil coupé, une autre façon de voir.

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